Toute ma jeunesse, comme beaucoup d'entre vous, j'étais déjà passionné par la chose aéronautique, collectionnant les rares photos que mon copain et moi pouvions trouver sur "Aviation magazine" et le Fana. Fort heureusement, il y avait les maquettes au 1/72ème. J'y passais toutes mes vacances d'été et les autres. Ca collait dur du plastique ! Et chaque modèle d'avion existant, notamment de la seconde guerre mondiale, avait sa réplique sur mes étagères "ramasse poussière"... Les posters de Mirage III C en noir et blanc, donnés par l'antenne Air de l'Armée de l'Air, couvraient alors les murs de ma chambre.
Mais les études scientifiques n'étaient pas pour moi, mes notes en maths étant trop en dessous de la moyenne de la seconde C, il fallait donc faire autre chose .... L'adjudant Ménara de l'antenne Air me suggéra : Juriste ? Il te faut tenter le concours de Commissaire de l'Air ! Il faut faire Droit et Sciences Po. Donc double inscription : C'est parti !!! Mais j'appris plus tard que le nombre de ces postes était famélique : 1 ou 2 par an au mieux ... Il fallait probablement envisager autre chose ....
En cette rentrée universitaire d'octobre 1974 à Toulouse, un colloque était proposé, aux jeunes étudiants de deuxième année de droit que nous étions, sur les opportunités que pouvaient nous laisser espérer une carrière juridique.
A cette époque il n'y avait pas internet, peu de journaux estudiantins et les possibilités de nous renseigner étaient fort maigres, pour ne pas dire inexistantes. Quelle carrière juridique espérer quand on à 19 ans ??? Avocat ? Certainement pas ! mais quoi d'autre ? Magistrat ? Pas mon trip le judiciaire... Donc je me suis inscrit à ce colloque et le jeudi soir venu vers 18H00 l'amphi était bondé. J'étais au deuxième rang. Une dizaine de messieurs assez ou très âgés se trouvaient derrière le long pupitre du grand amphi.
Le doyen de la faculté effectuait alors les présentations: M. le professeur Untel vous présentera les carrières judiciaires, M. Le professeur Lambda vous démontrera que vous avez fait le bon choix en optant pour une carrière juridique (Le droit mène à tout à condition d'en sortir) etc. etc... Tous les professeurs, fort austères, étaient en toge noire et épitoge d'hermine blanche.
Tout au bout de ce grand pupitre, en costume sombre, le plus vieux participant était alors présenté: "Et nous avons le grand honneur d'accueillir ce soir un industriel bien connu dans les milieux aéronautiques: Monsieur Emile DEWOITINE" !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
J'étais scotché car je ne savais même pas qu'il était encore vivant ! J'avais fini mon D 520 Heller au mois de juillet précédant !!!!!! Autant vous dire que je n'étais plus du tout à mes perspectives de carrière juridique ... Je ne me souviens plus de ce qu'il nous a dit : j'étais figé. Je n'ai pas écouté grand 'chose du colloque ...
Au vin d'honneur qui a suivi 2 heures plus tard, j'étais à moins de 2 mètres de lui, moi le gamin à côté de ce grand Monsieur dont je ne connaissais pas l'histoire mais dont je savais seulement que si nous avions eu plus de son D 520, la "campagne de France" aurait peut-être pris une autre tournure.
J'étais comme hypnotisé, mais je ne me suis pas senti de l'approcher pour aller lui serrer la main. Un regret, que j'ai toujours, mais cela aurait peut-être été mal vu ... A cette époque nous vivions différemment. Le respect de nos professeurs et des sommités locales n'était pas un vain mot. On ne s'imposait pas. C'est une rencontre rare, que je n'ai jamais oubliée. Je ne l'ai que très peu racontée car il faut être fana d'aviation pour comprendre et je profite donc du forum pour vous en faire part.
"Mimile-bras-de-fer" (c'était son surnom) est décédé 5 ans plus tard, à près de 87 ans.
Une avenue de Toulouse porte à présent son nom.
Lien pour une photo de ce grand avionneur, datée de février 1975, 4 mois après cette rencontre :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Dewoitine#/media/File:27.02.75_Monsieur_Dewoitine_(1975)_-_53Fi2037_(cropped).jpg