et encore :
2 septembre 1944 : Jonction des 2 armées françaises de Libération
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Carnet du Capitaine Gaudet |
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La 2e Division Blindée (général Leclerc) débarquée en Normandie
début août 1944 quitte Paris le 8 septembre. Le 10 septembre au matin,
le 4e Escadron du 12e Régiment de Cuirassiers arrive à Cunfin
(Haute-Marne). Le 12, l'Escadron part en direction de
Châtillon-sur-Seine. Ses membres sont parfaitement au courant de la
situation militaire ; la radio de l'Armée de Lattre leur a appris que
celle-ci avait libéré Dijon la veille. Les liaisons radio entre les
deux Etats-Majors sont fréquentes, et les avant-gardes des deux armées
françaises savent qu'elles sont sur le point d'opérer leur jonction.
Rien de fortuit donc dans leurs rencontres.
La Division Leclerc dépasse Châtillon-sur-Seine
Vers
15 h 30, la radio du capitaine Ernest Gaudet du 4e Escadron grésille :
« Dispositions de combat : rencontre avec l'ennemi possible. Poussez
reconnaissance sur Chamesson ». Le département est en principe vide
d'Allemands, mais des précautions s'imposent car une rencontre avec une
unité ennemie retardataire est toujours à craindre.
Coup d'œil à la
carte : Gaudet n'est pas loin de Chamesson située sur la route de
Dijon. Dijon ! C'est alors qu'il réalise pleinement que la jonction
avec la 1re armée, arrivant de Dijon, est sans doute imminente. « Les
équipages s'excitent, raconte Gaudet, ma jeep suit le char de tête.
trop lent ! Mon chauffeur Bru qui connaît l'enjeu me jette un clin
d'œil. Coup de tête à gauche. compris ; j'approuve d'un sourire. Il
double le char, se rabat. Le chef de char distancé n'est pas content,
il roule des yeux furibonds, accélère. en vain.
Un réflexe de
prudence me fait tempérer un peu mon impétueux conducteur. Je le fais
ralentir dans les virages et observer la ligne droite, avant de
remettre les gaz. Justement, à 200 mètres, voilà du nouveau. Venant
vers nous, deux cyclistes, un homme et une femme. »
Buralistes à
Nod-sur-Seine, Louise et Gaston Merle partaient à Châtillon renouveler
leur dotation de tabac pour les 250 habitants du village. Ils sont
ahuris : une jeep qui n'a rien d'allemande avec à son bord des
Américains qui. parlent français. Le char distancé les rejoint, et son
nom, Lunéville, aide le couple à comprendre qu'il s'agit bien d'une
unité française, venant du nord (alors que tout le monde attend les
libérateurs, venant du sud). Le dialogue s'engage, et Mme Merle apprend
à l'officier qu'il est à 4 km de Nod-sur-Seine et que le village, tout
comme Chamesson, ne compte plus un seul Allemand.
Les véhicules foncent jusqu'à Nod et stationnent face à la cure.
La 1re Division française libre arrive
C'est
alors que débouche d'un virage une 302, conduite par un capitaine en
tenue française. Il se présente : « Capitaine Queyrat, Etat-Major de la
Division Brosset (1re Division française libre, l'une des 7 divisions
de l'armée de Lattre). Je viens de Dijon et vais à Paris, en mission. »
La
voiture légère est suivie d'une colonne de scouts-cars. Un autre
capitaine se présente à Gaudet : « Guérard, 1er Régiment de fusiliers
marins, 1re DFL ». « Gaudet, 12e Régiment de Cuirassiers, 2e DB ». Les
deux hommes tombent dans les bras l'un de l'autre.
Guérard précise
qu'ils étaient ce matin à Arnay-le-Duc et présente deux de ses
camarades : les officiers d'équipages Colmay et Morel, deux anciens de
Bir-Hakeim.
Les protagonistes réalisent alors que la jonction
Overland-Dragoon entre les forces venant du nord et celles venant du
sud vient d'être réalisée.
La jonction officialisée
Gaudet saute
sur sa radio, appelle l'Etat-major de son groupement tactique et
annonce au capitaine de Tarragon : « Ecoutez-bien Tarragon. Nous vivons
un moment historique. Ecrivez. Et il dicte : « Le 12 septembre 1944, à
16 h 30, la liaison a été prise entre la 2e DB et la 1re DFL, par le 4e
Escadron du 12e Régiment de Cuirassiers : les Eléphants Blancs ». Il
précise être à Nod : N comme Noémie, O comme Octave, D comme Désiré
A
Nod, l'excitation et la joie sont à leur comble. L'architecte Pierre
Garnier, qui a entendu de sa fenêtre l'annonce à la radio de la jeep,
bondit sur la route. Le maire Pierre Huguenin dévale prestement la rue,
suivi de tous les habitants. Bientôt, les cloches sonnent à la volée.
Deux jeunes : un FTP parisien et Maurice Merle grimpent le long des
crochets plantés contre le mur de l'église et vont accrocher un drapeau
tricolore au sommet du clocher.
Un officier demande au maire de
faire poser sans attendre un panneau provisoire indiquant l'événement
historique survenu devant la modeste cure. Le texte suivant y est
inscrit : « Ici s'est opérée la jonction de l'Armée de Lattre et de la
Division Leclerc ».
Depuis longtemps, une borne et un monument
commémoratif ont remplacé le modeste panneau de bois. Et depuis
quelques années, une jeep et un half-track donnent encore plus de
solennité à ces lieux chargés d'histoire.
D'autres jonctions
Mais
qui pourrait croire que les deux unités françaises, progressant sur de
larges fronts convergents, ne se rencontrèrent qu'à Nod-sur-Seine ?
Nous
proposons au lecteur d'étudier dimanche prochain les autres jonctions,
et d'essayer d'expliquer pourquoi l'Histoire n'a retenu que celle de
Nod.
Gilles HENNEQUIN
Sources : rapport du Capitaine Gaudet ; Le
Débarquement en Provence J. Robichon ; renseignements divers
communiqués par Michel Diey.